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Actualisation de l’évaluation des conséquences radiologiques en France des retombées de l’accident de tchernobyl - Contamination de l’environnement et exposition de la population

07/07/2025
Couverture du rapport Actualisation conséquences Tchernobyl en France 2025

Au début du mois de mai 1986, les masses d’air contaminées par l’accident de Tchernobyl ont survolé la France. Une partie des radionucléides présents dans ces masses d’air se sont déposés à la surface des sols, puis se sont disséminés dans toutes les composantes de l’environnement entraînant une exposition radiologique de la population qui perdure encore aujourd’hui du fait de la rémanence du césium 137. Cette exposition est une composante de l’exposome radiologique, objet du projet CORALE (Composante radiologique de l'exposome, multi-expositions, risques de cancers et d'autres pathologies chroniques dans la cohorte Constances ; Sauce J. et al. 2024), mené par l’ASNR en collaboration avec l’UMS011 Inserm/Université Paris Cité/UVSQ/Université Paris Saclay.

Les expositions de la population aux retombées de l’accident de Tchernobyl ont été évaluées une première fois en 1997 (Renaud et al, 1999), puis réévaluées en 2007 (Renaud et al. 2009). Ces évaluations ne répondent cependant pas complètement aux besoins du projet CORALE qui nécessite de reconstituer les doses équivalentes annuelles à différents organes, pour toutes les classes d’âge et par commune, et ceci de 1986 à aujourd’hui. Compléter en ce sens les évaluations faites en 2007 est l’objet de la présente étude qui fournit par ailleurs une occasion de consolider l’ensemble des évaluations relatives aux conséquences radiologiques en France de l’accident de Tchernobyl en utilisant les observations faites au Japon après l’accident de Fukushima et des études récentes réalisées par l’ASNR. En outre, ces doses peuvent être mises en perspective de celles résultant des retombées des essais atmosphériques d’armes nucléaires sur la métropole, récemment estimées par l’ASNR (Renaud et Vray, 2024). Ce document fournit, de manière détaillée, tous les éléments méthodologiques qui ont permis d’obtenir ces nouvelles estimations et les commente.

Ces calculs de doses s’appuient essentiellement sur des activités massiques et volumiques des principaux radionucléides constitutifs de ces retombées, mesurées dans l’air, les sols et des denrées alimentaires par l’ASNR et ses prédécesseurs (le SCPRI, l’OPRI, l’IPSN puis l’IRSN) avec un recours à la modélisation (via le modèle Symbiose ou des modèles empiriques) pour compléter les chroniques de résultats de mesure ou à l’interpolation pour compléter les chroniques de doses. Ainsi, les estimations des doses reçues par inhalation reposent sur des activités volumiques de césium 137 mesurées quotidiennement en mai et juin 1986 dans des aérosols atmosphériques prélevés par 36 stations réparties sur territoire, ainsi que sur des rapports d’activités isotopiques d’une quinzaine d’autres radionucléides également mesurés dans l’air sur certaines de ces stations. De même, les doses reçues par ingestion ont été calculées sur la base d’activités massiques des cinq principaux radionucléides qui y ont contribués, mesurées dans les denrées produites sur la période 1986-1989, complétées par des résultats de modélisation ajustés à ces mesures, puis sur la base d’activités massiques mesurées sur la période 2008-2018. Entre ces deux périodes, les doses ont été estimées par interpolation. Enfin, les doses liées à l’exposition externe au rayonnement des quinze radionucléides mesurés dans l’air et qui se sont déposés sur les sols et surfaces, ont été estimées pour 1986, puis sur la période 2008-2018, à partir de mesures d’activités surfaciques ou de mesures directes de rayonnement (débits d’équivalent de dose). Les cinétiques de diminution des débits d’équivalent de dose au cours des 8 premières années suivant les dépôts radioactifs en milieu rural et des 15 premières années en milieu urbain, ont été ajustées à celles observées au Japon après l’accident de Fukushima.

En 1986, les doses efficaces consécutives aux retombées de l’accident de Tchernobyl ont été estimées entre 10 µSv en Bretagne et quelques centaines de microsieverts sur les zones de l’Est du territoire où les dépôts radioactifs ont été les plus importants. Elles ont pu atteindre 1 000 µSv (1 mSv) sur les huit communes de la côte orientale de la Corse et de l’arrière-pays niçois où les dépôts de césium 137 ont été d’environ 50 000 Bq/m2 à la suite des précipitations très abondantes entre le 1er et le 5 mai 1986. Cette année-là et pour la majeure partie du pays, ces doses ont résulté principalement de l’ingestion de denrées contaminées. Toutefois, sur les communes où les dépôts radioactifs ont dépassé 20 000 Bq/m2 , l’exposition externe a été la première contributrice à la dose totale, notamment pour des adultes passant beaucoup de temps en extérieur. Dans tous les cas, la contribution de l’exposition par inhalation a été faible et n’a pas dépassé 15 % de la dose totale dans le nord-est de la France où les activités dans l’air les plus élevées ont été mesurées.

En 1987, les doses efficaces ont été de 2 à 3 fois plus faibles du fait de la quasi-disparition de l’exposition par inhalation et surtout de la diminution importante de la dose liée à l’ingestion de denrées. Depuis 1988, les doses efficaces annuelles ont régulièrement diminué avec des contributions variables des expositions externe et par ingestion suivant le lieu de résidence et l’âge de la personne exposée. En 2000, les doses efficaces annuelles sont estimées entre quelques microsieverts en Bretagne et quelques dizaines de microsieverts dans les zones les plus touchées de l’Est du pays. 

En 2020, la dose efficace moyenne dues aux retombées de l’accident de Tchernobyl pour un adulte résidant en milieu urbain1 , travaillant en intérieur et ne consommant pas de champignons sauvages et de viandes de gibiers, est de l’ordre de 1 µSv/an (de moins de 1 µSv/an à quelques microSieverts par an). Ce scénario représente sans doute la majeure partie de la population. De manière générale, les doses efficaces estimées pour les enfants sont du même niveau. Pour des personnes travaillant en extérieur en milieu rural dans les zones les plus touchées par les retombées de l’accident de Tchernobyl, les doses pourraient atteindre 10 µSv, voire 20 µSv sur les communes de l’Est du pays où les dépôts radioactifs de mai 1986 ont été les plus importants. Toutefois, ces valeurs plus élevées ne peuvent être atteintes que si la personne passe plusieurs heures par jour sur des surfaces non remaniées (qui n’ont jamais été labourées, ni recouvertes…) depuis 1986. Or, de telles surfaces se limitent souvent désormais à des espaces naturels ou boisées.

Contrairement aux denrées issues de l’agriculture et de l’élevage dont les activités massiques, et donc les doses liées à leur consommation, n’ont cessé de diminuer depuis 1986, la contamination en césium 137 des denrées forestières, champignons et viandes de gibiers, est restée à un niveau élevé jusqu’à aujourd’hui. Cette contamination est aussi beaucoup plus variable que celles des autres denrées et ceci même à l’échelle d’une commune. Il en résulte que la consommation, même occasionnelle, de ces denrées peut entrainer des doses très différentes et conséquentes. Pour les personnes qui en consomment régulièrement, la dose efficace associée a pu dépasser celles dues aux autres voies d’exposition dès le début des années 1990. Pour les communes les plus touchées de l’est de la France, elle peut être encore aujourd’hui de plusieurs dizaines de microsieverts.

En 1986, les doses équivalentes à la thyroïde ont été nettement supérieures aux doses efficaces et dépendaient de l’âge. Les estimations les plus élevées, autour de 7 mSv, concernaient les enfants de 2 à 7 ans. Elles résultaient quasi exclusivement à l’incorporation d’iode 131 via l’ingestion de denrées, les contributions de l’inhalation ou des autres radionucléides étant très faibles. Les doses équivalentes aux autres organes sont très proches et souvent du même niveau que les doses efficaces, à l’exception des doses équivalentes au colon qui, pour les enfants de 1 à 12 ans, peuvent être jusqu’à deux fois plus élevées que les doses efficaces.